Je suis née à Saïgon au Sud-Vietnam les derniers jours de l’année 1953.

J’ai été dépaysée en France en 1956. La France reconnaissante pour ses soldats lors du rapatriement des troupes françaises d’Indochine nous a parqués dans une cité de corons vétustes et sans eau courante à Noyant d’allier, au milieu de nulle part.

Mes parents qui ont vécu la guerre, (mon père étant militaire), ont enfermé leurs souvenirs et traumatismes au plus profond de leurs êtres. Quelques horreurs et chagrins s’en sont échappés, quelques photos idylliques d’un « avant » heureux aussi, que chacun de mes 8 frères et sœurs portent avec moi en mémoire avec nostalgie ou ressentiment.

J’ai une image très floue de mes origines, beaucoup de blancs, d’images romancées pour supporter l’horreur d’incertaines réalités. Visions cruelles sur fond de paradis.

Ma mémoire est encombrée de tant d’autres mémoires qui remontent le temps jusqu’au temps où je ne suis même pas née, que je ne sais pas quel âge j’ai exactement avec ce poids intergénérationnel, ni si les données que je détiens sont exactes.

« Tout ce qui ne remonte pas à la conscience, nous revient sous forme de destin » dit C.G.Yung,

Les mémoires ne disparaissent pas avec les ancêtres, elles continuent de ressasser comme le mouvement des vagues, un va et vient sans fin comme la vie.

« La vie est mouvement, le mouvement est vie. »

Emotion vient du latin « motio » qui signifie le mouvement provoqué par une stimulation extérieure, une impulsion qui met en mouvement l’énergie qui est en nous en lien avec l’autre pour être en émotion : contact . Mon destin actuel est de peindre pour m’inscrire dans le mouvement de la vie, inscrire ma petite mémoire individuelle dans la grande mémoire collective. Peindre, pour moi, c’est protéger un instant de silence du parasitage de toutes les mémoires, une pause pour mettre dehors ce qui est dedans, pour vider ce qui ne m’appartient plus, désencombrer pour avoir à l’intérieur plus d’espace qui me révèle et me relève ; un instant qui me déshabite pour se dépayser vers la toile.

Je n’ai pas beaucoup d’influence sur ce qui se passe au bout du pinceau qui traverse les couleurs pour trouver la transparence et échapper au noir (qui est la somme de toutes les couleurs) si ce n’est cette quête de l’ombre et de la lumière et de l’équilibre!

« Ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t’égarer » Rabbi Nahman (1772-1810)

Je ne sais rien de la toile que je donne à regarder, si ce n’est qu’elle n’est pas, tant qu’elle n’est pas regardée, vue. Je ne sais rien du départ de cette toile si ce n’est le désir fugace et exigeant d’une injonction qui s’impose pour mieux me quitter l’instant d’après.

Je ne sais rien de ce qui fait marcher l’ensemble, de ce qui en anime la circulation si ce n’est l’intervention autoritaire d’une autre mémoire. La toile verticale sur son chevalet serait un miroir, une psyché. Passé/Présent. Je ne suis plus dans le monde qui était, je suis bouleversée par le monde qui vient et que je ne connais pas, je m’arrête pour transiter.

Je m’arrête pour laisser couler dehors des morceaux de monde sectionné à l’image de la planète de mon corps disloqué.

J’essaie d’attraper le bout du fil de la curiosité, du sens critique et de la créativité pour tenter de modifier mon regard dans l’écho du regard de l’autre et mon appréhension du monde afin d’avoir Confiance et m’apaiser.

Je peins aussi des univers pour retenir des paradis perdus, des mondes qui ne seraient pas désacralisés, un cadeau de bienveillance avec moi même où j’ai droit à toutes les émotions, il n’y a plus de faiblesses ni d’imperfections, pas de « trop » ni de « pas assez », je suis à ma place et je me sens vivante.

mariemazard © 2023